Le vilain temps
Jacques Perret
« N’étant pas lecteur du J.O., ma radiation des contrôles de la Médaille militaire m’a été signifiée par la rumeur publique. Le motif ne figure pas dans l’arrêt mais on devine bien qu’il s’agit d’une affaire de mœurs. J’ai dû me faire remarquer un jour que je me livrais en public à des exhibitions de vérités premières. C’est un exercice offensant à la pudeur de l’État. »
Le ton est donné. Ce troisième tome, dans la continuité des deux premiers, nous offre des chroniques au style toujours aiguisé, cinglant et spirituel. Le contexte est grave, et l’essentiel de ces textes traite des évènements d’Algérie. Jacques Perret paiera cher, au propre et au figuré, ses attaques incessantes contre celui qui abandonne l’Algérie, ses Pieds-Noirs et ses harkis.
Avant que l’injustice ne soit consommée, par les accords d’Évian en 1962, et, à titre personnel, par sa radiation des contrôles de la Médaille militaire en 1963, cette série d’articles, écrits au plus fort de la tourmente, manifeste parfaitement son engagement patriotique, fil conducteur de toute sa vie.
Jacques Perret (1901-1992), aventurier, journaliste, écrivain, chroniqueur, est connu pour l’immense succès du Caporal épinglé qui raconte sa captivité et ses tentatives d’évasion (porté au cinéma par Jean Renoir), et pour Bande à part (prix Interallié) où il relate ses souvenirs de résistant. Si la mer inspire plusieurs de ses romans ou récits (Le Vent dans les voiles, Rôle de plaisance, Mutinerie à bord), il est également l’auteur de plus d’une trentaine de nouvelles et de pièces de théâtre.
Dans la presse
Présent, n° 9207, 29 septembre 2018
La sortie d’un livre de Jacques Perret est toujours un événement littéraire. Plongée dans Le Vilain Temps, avec un spécialiste de son œuvre, Jean-Baptiste Chaumeil.
— Jean-Baptiste Chaumeil, les admirateurs de l’œuvre de Jacques Perret possèdent dans leur bibliothèque un volume intitulé Le Vilain Temps, publié en 1964 aux éditions du Fuseau. S’agit-il d’une reprise de cet ouvrage ?
— Il s’agit d’une reprise, mais considérablement augmentée. Il s’agit aujourd’hui du 3e volume des chroniques de Jacques Perret publiées dans l’hebdomadaire royaliste Aspects de la France, Le vilain temps 1960-1962, qui paraît aux éditions Via Romana. Cette édition suit celle du volume I, La République et ses Peaux-Rouges 1948-1952, et du volume II, Du tac au tac 1953-1959. Ce 3e volume recoupe en l’augmentant le livre Le Vilain Temps paru pour la première fois en 1964. La première édition ne regroupait pas la totalité des chroniques parues durant cette période. Il s’agissait d’un choix fait par Jacques Perret lui-même, qui avait aussi donné un titre à certaines de ses chroniques qui, lors de leur parution dans Aspects, portaient le titre générique de « Le billet de Jacques Perret ». Les nouveaux titres des chroniques de l’édition de 1964 ont été conservés pour cette présente édition de 2018, qui regroupe tous les articles de Perret parus en 1960, 1961 et 1962.
— La période 1960-1962 fut particulièrement impitoyable pour les partisans de l’Algérie française. L’auteur du Caporal épinglé est habitué à manier l’humour. Comment caractériser l’approche et le ton employé dans ses chroniques ?
— Le « clodovicien patriotard », comme il se désigne lui-même, trouve dans le drame de l’Algérie française la trace de la trahison « mahousse ». Alors que dans les volumes précédents la critique du « processus » et de la « démocratie mirobolante » se fait par lui sur un mode guilleret et gentiment moqueur, il s’agit maintenant d’une autre façon, d’une salve plus précise, plus mordante et pour tout dire plus mortelle. La trahison gaullienne de l’abandon du territoire français d’Algérie étant caractérisée, il ne s’agit plus de retenir les coups, Perret fait feu de tout bois. Il y a d’abord le ton de l’étonnement. Perret se demande au début comment de Gaulle a pu revenir au pouvoir en 1958 sur le thème de l’Algérie française, et se comporter petit à petit comme le traître personnifié. Dès lors le ton est plus dur, il se moque du président, le ridiculise et porte l’accusation de « fourberie, trahison, parjure et renégat ». C’est une lutte sans merci entre le traître et l’amoureux de la plus grande France, l’explorateur, l’aventurier des tropiques.
— Sont-ce certaines de ces chroniques qui lui valurent d’être condamné par la justice ?
—Ce sont effectivement ces articles d’Aspects de la France qui furent en cause. Il faut noter que ces 123 textes qui couvrent les années 1960, 1961 et 1962 valurent à Jacques Perret une condamnation pour « injures envers l’ordre de la Légion d’honneur », quatre condamnations pour « offense au chef de l’Etat » pour finir la période par « l’interdiction du port de sa médaille militaire ainsi que toute décoration française ou étrangère ». Durant ces trois années, il assista à plusieurs procès, dont celui du « complot de Paris » en soutenant son ami le cinéaste Jacques Dupont et celui de son propre fils Jean-Loup Perret embastillé pour sa participation à une expédition punitive contre une barbouze gaulliste.
— Arrivait-il à Jacques Perret, durant cette période, de collaborer à d’autres publications qu’à l’hebdomadaire royaliste Aspects de la France ?
— Il le dit lui-même dans sa préface au Vilain Temps de l’édition de 1964 : « Les articles qui suivent ont paru dans l’hebdomadaire Aspects de la France où j’ai collaboré régulièrement, non par dévotion à la maison d’Orléans, mais simplement parce que la France y est aimée, servie, veillée sans répit, et qu’on s’y montre attentif aux merveilles de son héritage plus qu’aux bonheurs de ses lendemains mirobolants. » Et même si la plupart des articles écrits furent publiés dans Aspects où Perret tenait une chronique hebdomadaire depuis 1948, il ne refusait aucune collaboration dans d’autres journaux amis de la cause. Il fit paraître des articles sur le même sujet dans La Nation française, dans Combat, dans L’Esprit public et bien d’autres publications. Il ne faut pas oublier qu’il travaillait en même temps sur des nouvelles et des romans. Les Biffins de Gonesse parurent en 1961. Mais il n’était pas seul dans cette défense de l’Algérie française, bien d’autres de ses jeunes camarades, Déon, Blondin, Nimier, Laurent, bataillaient eux aussi pour la défense de la patrie en danger abandonnée par celui-là même qui était chargé de maintenir son unité. Gabriel Matzneff eut raison, plus tard, de désigner Perret comme leur « Monsieur de Tréville », le capitaine des mousquetaires du roi. Dans une lettre à Paul Morand, Roger Nimier expose à cette époque son gouvernement idéal et nomme Jacques Perret à la Défense nationale ! Alexandre Vialatte soutint aussi Jacques Perret dans un article fameux de La Nation française.
— Le Vilain Temps est doté d’une importante postface (18 pages). Pouvez-vous nous donner des précisions sur celui qui l’a rédigée ?
— Cette magnifique postface précise, argumentée et pleine d’admiration est due à l’avocat Olivier Sers. Olivier Sers est né à Paris, en 1943, d’une mère pied-noir agrégée d’histoire et d’un père corrézien agrégé de lettres classiques. Olivier Sers a travaillé sous les ordres du colonel Jean Bastien-Thiry à partir de février 1962 avec deux amis étudiants en droit. Ils furent employés comme guetteurs, planqueurs d’armes et hommes à tout faire dans onze tentatives d’attentats contre de Gaulle jusqu’au 27 juin 1962, jour où ils furent tous trois arrêtés et incarcérés sans souffler mot de l’entreprise en cours. Avocat à Paris de 1966 à 2006, il est également un latiniste reconnu. Pour les éditions Les Belles Lettres, il a traduit Apulée, Juvénal, Lucrèce, Ovide, Jean Second, Pétrone, Sénèque et Virgile. A l’exception de Juvénal, toutes les traductions de ces poètes sont établies vers pour vers. Olivier Sers est un vrai amateur passionné de l’œuvre et du personnage Jacques Perret et on se doute bien, à la lecture de son itinéraire estudiantin, qu’il était tout désigné pour présenter ce nouveau Vilain temps. Il replace le livre et son auteur dans le contexte de l’époque, apporte des précisions inédites de première main puisées aux meilleures sources (Oliviers Sers a fait partie du réseau de Jean Bichon). Nous y retrouvons un Perret combatif dont le souhait final était la disparition définitive du général de Gaulle. Les indices, les témoignages, les écrits sont ici exposés dans leur vérité. C’est un très précieux travail, indispensable à la connaissance de l’esprit de Jacques Perret dans ces temps troublés. Et dans des textes bien postérieurs on lit bien sous la plume du Caporal épinglé que cette trahison ne passera jamais.
— J’ai relevé que, dans le célèbre manuel des études littéraires Lagarde et Michard (dernière édition 2015), deux pages étaient consacrées à Jacques Perret. Où en est la diffusion de son œuvre ?
— Il semble que son éditeur d’origine, Gallimard, ne s’intéresse plus trop à l’œuvre de Jacques Perret, même s’il garde sous le coude les droits des célèbres Caporal épinglé et Bande à part, prix Interallié 1951. Il republie régulièrement quand même quelques-unes de ses œuvres dans la collection Folio. Depuis 1989 les éditions Le Dilettante, dirigées par l’excellent Dominique Gaultier, ont publié sept volumes d’inédits et des rééditions d’œuvres de Jacques Perret. Les éditions Via Romana, dirigée par Benoît Mancheron, ont publié un inédit, réédité Raisons de famille et se sont engagées dans l’édition complète des articles de Jacques Perret parus dans Aspects de la France. Le vilain temps est le 3e volume, un 4e et dernier de la série doit paraître dans un an ou deux. Quelques projets d’envergure sont en préparation mais je ne puis en dire plus. Les perretolâtres de tout poil ont intérêt à s’abonner à ma lettre confidentielle Le Caporal, ils en seront avertis les premiers !
Propos recueillis par Philippe Vilgier
Fiche technique
- Couverture
- souple
- Date de parution
- mars 2018
- Dimensions
- 14,8 x 21 cm
- Pages
- 272