

Par delà les traités d’histoire militaire et de stratégie, voici l’étude des principes qui doivent guider toute action politique au sujet de la guerre « afin de l’éviter quand il le faut ou de la mener à bien quand c’est nécessaire ». Son fil directeur reprend l’antique devise de l’actuelle école de guerre française : si vis pacem, para bellum.
Pour l’avoir oublié par négligence ou idéologie, notre pays a plusieurs fois payé très cher son amnésie, et cet essai tout à la fois érudit et accessible à tous procède d’une double réflexion d’officier « homme de guerre » et de chrétien « homme de foi » habité par le souci du bien commun de la patrie. Oui, il existe une approche toute inspirée de sagesse évangélique pour concevoir et faire la guerre, et c’est toute l’actualité de la doctrine de la guerre « juste » que fait redécouvrir F.-R. Legrier à travers une extraordinaire fresque politique et militaire embrassant l’histoire de notre humanité occidentale.
François-Régis Legrier est un jeune colonel de l'armée française et commande actuellement un régiment dans le Sud de la France. Breveté de l'École de guerre et titulaire d’un M2 « Religion, culture et politique » à l’École pratique des hautes études, il a notamment été l'élève du professeur de stratégie Hervé Coutau-Bégarie, et s’intéresse depuis toujours à l’histoire et aux disciplines de l’âme et de l’esprit pour mieux appréhender les conflits de notre monde.
Gabriel Galice
(1) Bruno Guigue, Chroniques de l’impérialisme, Éditions Delga, Paris, 2017, 280 pages, 20 euros.
(2) Michael Lüders, Die den Sturm ernten. Wie der Westen Syrien ins Chaos stürzte, C. H. Beck, Munich, 2017, 176 pages, 14,95 euros.
(3) Robert F. Kennedy junior, « Why the Arabs don’t want us in Syria », 23 février 2016, www.politico.eu
(4) François-Régis Legrier, Si tu veux la paix, prépare la guerre. Essai sur la guerre juste, Via Romana, Versailles, 2018, 220 pages, 19 euros.
Peut-on encore recourir au concept de « guerre juste », hérité du christianisme ? C’est à cette question que s’est attaqué l’auteur en officier et en chrétien. Un peu trop vite après la chute du bloc soviétique, on a rêvé à la fin des conflits. Mais la réalité a rapidement repris ses droits. S’appuyant sur Soloviev, Albert Camus ou le philosophe Henri Hude, l’auteur dénonce une conception biaisée des conflits et met en garde contre l’influence américaine, le « droit d’ingérence » ou de mirage de la guerre contre le terrorisme. Il préconise donc le recours aux conditions de la guerre juste pour sortir d’une situation conceptuellement minée, qui place le soldat dans des conditions tragiques.
Philippe Maxence
A déguster bien grillé
Les militaires écrivent rarement et passent souvent inaperçus. Fort heureusement cette affirmation supporte quelques exceptions. Un article récent publié dans la Revue Défense Nationale qui a valu à son auteur les foudres de Florence Parly nous a ainsi permis d’apprécier pleinement l’essai du colonel François-Régis Legrier sur la guerre juste paru l’an dernier. Un essai que l’on peut considérer comme fournissant à l’article censuré ses bases théoriques, d’où son intérêt.
Ce livre est tout d’abord un effet de philosophie politique. Partant du postulat que « préparer la guerre est la fonction première du politique », et combinant la réflexion de l’officier et du chrétien, il a pour ambition de « faire redécouvrir les principes qui doivent guider l’action politique au sujet de la guerre dans un but très simple : l’éviter quand il le faut et la faire quand cela est nécessaire. »
Considérant en effet qu’« il est possible, en s’inspirant des principes chrétiens, de faire une sage politique capable de prévenir la guerre et, le cas échéant, de la conduire de la meilleure façon », le colonel Legrier y développe une théorie de la guerre juste tout à fait intéressante s’appuyant notamment sur la scolastique traditionnelle et sur la pensée de Vladimir Soloviev.
Mais c’est aussi une réflexion sur les opérations en cours au Levant. L’auteur y est sévère à l’égard de la politique étrangère américaine des 40 dernières années : « Les dirigeants qui déplaisent sont éliminés comme de vulgaires voyous et cette politique, loin d’instaurer la paix, ne crée que chaos et violence. Ainsi, consciemment ou non, les États-Unis, loin de lutter contre le terrorisme islamique, ne font au contraire que l’attiser ».
Analysant ensuite l’outil de défense française, le colonel Legrier considère, comme beaucoup de ses pairs, que « la taille de l’armée française n’est pas à la hauteur d’une puissance qui a un siège permanent aux Nations-Unies. » Plus précisément, « la France a certes une épée performante pour des opérations ponctuelles, mais cette épée est-elle capable de servir dans un conflit long et intense ? Il est permis d’en douter », conclut-t-il.
Pour Legrier, à notre époque, le « rôle social de l’officier » (Lyautey) est plus nécessaire que jamais. C’est pour lui « un homme que son engagement place au cœur de la cité et toute tentative pour le ramener à une expertise technique est une grave erreur ». Faisant le constat que la classe politique ignore généralement tout de l’outil militaire, il préconise enfin que ceux qui se destinent à de hautes fonctions soient tenus à une certaine forme de service militaire, ce qui permettra d’aboutir à une communauté de vue sur l’essentiel dans un schéma idéal ou le décideur politique garderait la main sur la conduite de la guerre mais laisserait aux militaires la conduite des opérations.
On ne peut que recommander chaudement la lecture de ce petit texte roboratif, nourri d’humanisme chrétien et de philosophie classique, riche de ses multiples facettes. Une belle surprise dans le vide intellectuel de notre époque. La phrase de conclusion est à méditer : « la vraie paix ne saurait se réduire aux occupations productives, elle est d’abord et avant tout la recherche inlassable du bien, du beau et du vrai. »
Serge Gadal
Fiche technique