La hache des steppes
Jean Raspail
« Dans le trésor emblématique de Jean Raspail figure une hache de pierre noire qui venait du fond des temps, du fond des steppes.
Gage de vie, gage de mort, la possession de la hache noire conduit jusqu'à nous, par miracle, des peuples perdus et des minorités oubliées, rescapés de temps révolus. Parfois, il ne s'agit plus que de leur souvenir, recueilli comme un dernier souffle, lien impalpable entre morts et vivants. Aïnos blancs du Japon, Ghiliaks de Sakhaline, Catholiques des catacombes du Kyu Shiu, Urus demi-dieux des Andes, Wisigoths du Languedoc, Caraïbes, Taïnos et Lucayens des Antilles, Guanaquis d'Amazone, descendants de hussards de Napoléon réfugiés dans la grande forêt russe, Huns survivants des Champs Catalauniques… Peuples d'ombres que Jean Raspail évoque après vingt-cinq années passées à suivre leurs pistes effacées.
À la fois grave et stimulant, La Hache des steppes réveille en nous des échos profonds. Les hommes perdus qu'il évoque, ce sont nos frères, c'est nous-mêmes – venus du fond des temps, du fond des steppes, serrant dans notre main la hache immortelle. »
Ce texte figure, au même emplacement, dans la première et unique édition publiée chez Robert Laffont en 1974 et devenue, par la suite, introuvable.
Il nous semble aujourd’hui que La Hache des steppes, paru un an à peine après Le Camp des Saints (1973), en est, au final, le début et la conclusion, et l’auteur lui-même en convient. Tout l’univers de Jean Raspail y est concentré, ces minorités qui disparaissent, ces précieux modes de vie qui s’éteignent, avec, pour clore le cortège, notre vieille Europe à son tour menacée…
À la suite de la parution de En canot sur les chemins d’eau du roi, Jean Raspail a reçu, en 2007, le grand prix des explorations et voyages de découverte décerné par la Société de Géographie.
Il est notamment l’auteur du Camp des Saints, de Septentrion, de Sire, de Qui se souvient des hommes, du Roi de Patagonie, de Sept Cavaliers, des Royaumes de Borée, de Adios, Tierra del Fuego…
Du même auteur :
Les Veuves de Santiago
Secouons le cocotier
Bleu caraïbe et citrons verts
Nuage Blanc et les Peaux-Rouges d'aujourd'hui
Terres saintes et profanes
Le roi est mort, vive le roi ! Le roi au-delà de la mer
Dans la presse
Le Figaro Littéraire, 18 février 2017
Publié en 1974, La Hache des steppes n'eut pas le même écho ni le même succès que Le Camp des Saints, sorti un an plus tôt. Voici donc l'occasion de découvrir ou redécouvrir ce beau récit dans lequel l'écrivain nous entraîne sur la piste de peuples perdus et d'hommes oubliés, témoins du passé et acteurs de ses survivances inattendues. Ethnologue d'un genre qui n'appartient qu'à lui, historien buissonnier, Jean Raspail ne néglige jamais l'imaginaire, la rêverie, convoquant dieux et légendes avec un naturel jubilatoire. Ainsi, lorsqu'il se lance à la recherche des descendants d'Attila dans un petit village de Champagne en compagnie de son ami Jacques Perret...
Quant à la hache de pierre polie du titre, n'ayant pas quitté la famille de Raspail depuis « trois mille ans », elle relève autant de la magie que du sésame. « Peu importe l'origine des fils qui relient au passé du moment qu'ils n'ont point cassé et qu'on a le coeur battant au coeur même de la toile, sensible à toutes ses vibrations aux extrémitésd les plus lointaines. » Il y a des souvenirs et des songes qui nous guérissent de toutes les déceptions. Ils sont précieux.
Christian Authier
Valeurs actuelles, 21 janvier 2016
On réédite La Hache des steppes, un livre hanté par les peuples fantômes. En cinquante ans de voyages et d'explorations, l'écrivain n'a cessé de nous mettre en garde contre le prix à payer pour l'avènement de l'homme nouveau : la fin de l'autre. Une œuvre prophétique.
Il y a du Tintin chez Jean Raspail. Le Tintin qui court, vole, navigue et fonce à moto. Un Tintin un peu plus drôle, certes, qui n'hésiterait pas à emprunter de temps à autre la bouteille de Loch Lomond du capitaine Haddock pour trinquer à la Patagonie royale! Car il trinque, le père Raspail, toujours élégamment, et de préférence en mémoire de rois de pacotille qu'il prend très au sérieux. L'homme et l'écrivain sont avant tout marqués par un style fait d'élégance, de manières et de rites, ni l'un ni l'autre n'ayant oublié que "l'action, c'est avant tout forme".
Comme Jacques Perret qu'il admire, l'explorateur a passé la plus grande partie de sa vie à se promener de continent en continent et de siècle en siècle. Qu'il batifole avec des créatures swiftiennes dans une rivière de l'île de la Dominique ou qu'il assiste à une messe des catacombes avec les derniers chrétiens du Japon, qu'il observe avec effroi les caravelles de Magellan s'engouffrer dans le détroit qui portera bientôt son nom ou qu'il recherche les traces des derniers Wisigoths de l'Hérault, des derniers Huns de l'Aube, il est partout chez lui, et sans aucune affectation; sans ironie et sans démagogie, ces deux plaies des temps démocratiques.
On reconnaît un écrivain à la fidélité qu'il porte à son obsession. La quête de ceux qu'il appelle "les peuples perdus" est celle de Raspail. La plupart sont bel et bien disparus à jamais, mais Raspail est un rêveur. En retrouver la trace constitue l'unique but de ses voyages, qui prennent à mesure que les années passent un caractère d'urgence tragique. Quand il publie ses premiers voyages aux Antilles (Secouons le cocotier), il prend encore le temps de flâner, de décrire les lézards, de disserter sur le punch, avant de se lancer à l'assaut des montagnes et de ses chimères. Mais la fébrilité le gagnera bientôt quand il réalisera que le toboggan de l'histoire est sans pitié et qu'il projette les derniers peuples non alignés dans le néant.
Certes, Raspail est venu trop tard dans un monde trop vieux, mais il est quand même de son époque, ce XXe siècle qui a vu disparaître les dernières tribus en silence, celui qui a signé la fin de ceux qui se réclamaient d'un autre droit, d'une autre légitimité, d'une antériorité. Le projet moderne est bicéphale: l'avènement du progrès et le grand métissage côté pile; la fin mécanique des peuples qui les refusent et l'uniformité côté face, celle qui hante Raspail. "S'il reste un survivant, je veux le voir a lui parler, lui saisir la main, savoir à quoi cela ressemble un homme vieux de milliers d'années et qui le sait", écrit-il dans la Hache des steppes , magnifique livre dans lequel il décroche ce survivant partout dans le monde, avec désespoir et gaieté. Ses voyages sont autant d'enquêtes de terrain, préparées par des séjours en bibliothèque. Tout témoignage est bon à prendre, celui d'un routard aperçu au bord de la route comme celui des archives. Du croisement des deux nait l'aventure.
Mais Raspail n'est pas ethnologue pour autant. Il a pour lui la supériorité du romancier car, quand le fil est cassé, et il l'est souvent, il "maudit la cassure et l'enjambe par l'imagination" à l'image du mystérieux Kandell Kartis de Septentrion. La science laisse alors la place au rêve des origines pour le plus grand bénéfice du lecteur. Aux Antilles, il recherche ainsi les derniers Indiens caraïbes et au besoin les invente. Au Japon, il court après le peuple des Aïnos. Dans les Andes, essoufflé, il traque les demi-dieux urus "caramboIés vers les recoins les plus inconfortables du globe", et finit dans une exaltation religieuse par célébrer une messe anté-diluvienne dans une petite chapelle à 4000 mètres d'altitude au bord du lac Titicaca... Trop loin de Rome, ce catholique apostolique et romain se transforme parfois en mystique païen, ainsi que l'avait remarqué Jean Mabire en son temps.
Toute une vie à voyager dresse une géographie. Celle de Raspail est des confins, collection méthodique de bouts du monde hostiles, de steppes balayées par le vent, de rives gelées, d'îles sous la pluie et de sommets inaccessibles. Là se terrent les peuples refoulés par les siècles, gibier littéraire de notre romantique. Parmi eux, les Alakalufs qui l'ont tant fasciné . Ce "petit peuple désolé, arriéré, faible et laid" nomadisait depuis des millénaires dans les canaux autour du détroit de Magellan. Ils vivaient nus, à peine enduis de graisse de phoque, se nourrissant de baleines échouées, ne possédant aucun mot de vocabulaire pour exprimer le bonheur et la joie. Leur débilité, véritable pied de nez à Darwin, était leur plus grande force: si l'on se met à penser sous ces latitudes, on se couche pour mourir, nous dit Raspail.
L'aventurier a raconté mille fois la rencontre fugace, à 20 ans, du haut d'un cargo engagé dans le détroit, d'un canot avec six de ces survivants à bord, et la conscience que dix mille ans séparaient leurs deux mondes. Quelques décennies plus tard, la race s'éteindra à jamais mais, pour lors, cette rencontre de quelques secondes déterminera la vie de l'écrivain. De Terre de Feu-Alaska, son premier livre (1952), à Adios, Tierra del fuego quarante-neuf ans plus tard, il y reviendra tout au long de son œuvre. En 1986, il leur consacre ce qui est peut-être son chef-d'œuvre : Qui se souvient des hommes... Peu de livres offrent des descriptions de paysages aussi saisissantes. La pourriture des forêts magellaniques noyées de pluie, les sommets glacés de la cordillère plongeant dans la mer, le froid, la neige, les archipels effrayants, la nuit des canaux infinis et la solitude de ces Indiens nus dans des barques de fortune agitées par les flots confèrent à ce livre une tristesse et une beauté uniques. Le jour où apparaissent les Espagnols dans ces confins du monde, les Indiens alakalufs sont condamnés. L'agonie durera cinq siècles. De quoi méditer sur l'impératif universel de "l'ouverture à l'autre".
"Il existe chez certains êtres doués d'une nature particulièrement rêveuse des fidélités de rechange qui finissent par prendre le pas sur tout le reste", écrit notre voyageur dans Bleu caraïbe et Citrons verts. Raspail ne reconnaît plus la France dont le peuple s'est transformé en masse informe. Produire ? Consommer ? Se rendre utile ? Toucher ses allocations ? Manifester dans les rues ? Adios, tierra de Francia ! Raspail prend la tangente. Il se fait naturaliser dans un pays qui n'existe pas, devient sujet d'un roi de chimère, offre sa fidélité de rechange à ses rêves. Ce roi, c'est Antoine de Tounens bien sûr, un rêveur lui aussi, le plus grand des rêveurs ! Un avoué de Périgueux qui décida un jour de devenir roi du territoire sauvage de l'Araucanie, qui par décret annexa la Patagonie et son million de kilomètres carrés, qui tâta de la prison au Chili avant de s'en faire chasser et qui finit par distribuer aux poètes enivrés du Chat Noir, contre un bock de bière, les titres de terres qu'il ne possédait pas…
Le drapeau à bandes horizontales bleu blanc vert flotte aujourd'hui sur la maison de celui qui s'est institué "consul général de Patagonie". Raspail a fait sécession. L'auteur du Jeu du roi ne cesse de jouer mais il joue très sérieusement. Son royaume littéraire accueille tous les rebelles, les bras cassés de la modernité, les ratés du progrès, les morts pour la croissance, tous ces peuples millénaires dont l'histoire a cru bon de se passer. Certains disent qu'en fermant les yeux, on peut encore y voir des Indiens nus fouettés par la pluie ramer péniblement dans les flots déchaînés.
C'est ainsi que Raspail est grand.
Olivier Maulin
Famille Chrétienne, n°1988, 20-26 février 2016
Les peuples oubliés, menacés d'extinction ou à jamais disparus, ont toujours fasciné Raspail. L'écrivain aventurier aura consacré de nombreuses années à marcher sur leurs traces et livre ici le récit de ses découvertes improbables: rencontre avec les descendants des Huns à Origny-le-Sec, dans l'Aube, ou ceux des hussards de Napoléon dans une forêt russe. Ce voyage à travers le temps n'a rien de nostalgique. Il sert à établir une filiation avec le passé, pour que "l'homme prenne conscience de la chaine ininterrompue à laquelle il appartient". Décidément, le temps ne cesse de donner raison à Jean Raspail. La réédition de son ouvrage, paru en 1974 et épuisé, arrive à point nommé.
Elisabeth Caillemer
La Nef, n°281, mai 2016
Cette fois, j’ai vraiment été tenté de n'en rien écrire. Lorsqu’un livre de Jean Raspail quitte les rivages de l’écrivain pour venir accoster jusqu’en nos foyers, c’est toujours un moment d’intense émotion. D’instinct, nous savons que nous ne lirons pas simplement une histoire, mais que nous pénétrerons dans un univers. Au début, l’embarras n’y avait aucune part: on y allait joyeusement, gaillardement même, bien décidé à parcourir d’un pas altier le nombre de pages que l’écrivain avait bien voulu noircir pour nous.
Est-ce l’effet de l’âge ? Cette « entrée chez Raspail », nous la faisons presque désormais à reculons, en tous les cas avec hésitation, comme si nous allions effectuer une apnée littéraire, dont nous ne ressortirons pas complètement indemne. Il y a surtout cette crainte de souiller, voire de profaner, l’œuvre de l’écrivain, en balançant nos pauvres mots pour évoquer les siens. Tragique condition de celui qui doit donner à connaître ce qu’il est bien incapable d’écrire le plus souvent lui-même. Cette fois donc, j’ai vraiment été tenté de n’en rien dire. Mais une fois encore, la magie du verbe raspaillien a déployé ses sortilèges. Impossible d’y échapper et impossible de faire semblant. Il faut dire qu’écrite après Le Camps des saints, La Hache des steppes y trouve un statut particulier. La dédicace au grand Jacques Perret y ajoute encore une filiation que l’on ne peut que saluer.
Et c’est vrai que tout y est (ou, presque) de l’œuvre et de la géographie de Jean Raspail dans cette évocation des peuples et des civilisations à la fois oubliées et survivantes que son destin et son talent savent donner à voir une fois encore, le temps d’une lecture.
Si nous sommes peut-être plus sensibles, aujourd’hui qu’hier, à ces hommes perdus, à ces destins contrariés, à ces civilisations détruites, c’est que nous sommes sur le point (le dernier ?) de leur ressembler. Et c’est pourquoi, à notre tour, nous avons nous aussi déterré la hache, notre ultime témoin dans cette course à la mémoire.
Philippe Maxence
Fiche technique
- Couverture
- souple
- Date de parution
- janvier 2016
- Dimensions
- 13,5 x 20,5 cm
- Pages
- 256